La nocivité des émaux céramique est aujourd’hui un sujet qui fait débat ! Tout juste sorties du four, tu te réjouis d’avoir obtenu la forme et les couleurs que tu recherchais depuis un moment. Il s’agit de pièces alimentaires ? Sache qu’il y a une chose dont tu devrais t’assurer : la conformité de tes pièces pour cet usage alimentaire. Que tu sois amateur ou professionnel, il est indispensable de vérifier que ton émail soit assez résistant pour ne pas présenter de risque d’intoxication.
Il faut commencer par définir qu’est ce qu’une céramique alimentaire. Et là déjà, il y a plusieurs façons d’envisager la réponse. Si on se base sur la loi, il s’agit de fournir un certain nombre de documents déclaratifs, ce n’est pas ce qui nous intéresse ici. Ici, nous allons envisager des astuces pratiques pour vérifier que nos émaux sont résistants, bien vitrifiés, pour ne pas relarguer de substances nocives.
Dans cet article, nous allons voir l’ensemble des règles à suivre et des tests à réaliser pour s’assurer de cette résistance. Si tu es débutant, je te conseille de suivre la formation gratuite « Débuter avec les émaux« . Si tu veux apprendre et comprendre comment fabriquer tes émaux, choisis celle-ci.
La toxicité des émaux en céramique
Les émaux céramiques peuvent être toxiques pour le céramiste lors de leur utilisation, pour l’environnement à travers les déchets et pour les usagers dans le cadre d’une utilisation alimentaire. En effet, il existe la possibilité qu’une molécule présente dans un émail cuit migre vers un aliment ou un liquide mis à son contact. Ce phénomène s’appelle un relargage. Le relargage est favorisé par l’acidité des éléments en contact (ex : café, vinaigre, jus de fruit).
Tous les oxydes métalliques sont dangereux pour la santé. Certains présentent des risques d’intoxication plus important que d’autres. C’est le cas du plomb, du cobalt, du cadmium, de l’aluminium, du baryum, du cuivre ou de l’antimoine.
Le sujet de la toxicité des émaux se divise en 3 parties distinctes :
- la toxicité pour le céramiste lors de la fabrication et de la manipulation de l’émail céramique pendant le processus de création de la poterie.
- le risque pour l’usager de la poterie dans une utilisation alimentaire.
- la toxicité pour l’environnement. Que fait-on de nos déchets après réalisation de notre poterie ?
Toxicité pour le céramiste
Historiquement, le fondant privilégié des céramistes était le plomb ou ses dérivés car sa température de fusion était basse. Son utilisation dans la fabrication des émaux a produit un grand nombre d’intoxications. La progression des études de toxicité ont confirmé la nocivité du plomb sur l’organisme, capable de pénétrer par les poumons ou la peau.
Des fondants de substitution comme le feldspath ou le phosphate de chaux, la disponibilité de frittes de toutes sortes, l’adaptation des pratiques en atelier ont permis de diminuer fortement les intoxications des céramistes.
Cependant, les dangers persistent. Manipuler des métaux ou oxydes métalliques à l’état de poussière induit forcément des risques d’inhalation ou de pénétration par la peau. Sans oublier l’éternelle silice présente dans vos émaux mais aussi dans la poussière d’argile quand vous poncez ou dans les résidus d’engobe.
Inutile de chercher si tel ou tel composant est plus ou moins toxique pour vous poser la question des disposition à adopter dans leur manipulation. Quel que soit votre émail, prenez systématiquement ces précautions :
- Ventiler correctement et régulièrement votre atelier
- Assurer un entretien régulier de l’atelier en aspirant les poussières.
- Manipuler vos émaux ou tout autre composé minéral avec des gants.
- Dès qu’il y a un risque d’inhalation de poussières, utilisez un masque. Plus d’excuses car tout le monde a des masques à la maison depuis 2020.
Toxicité pour l’usager
Il faut savoir que malgré son aspect stable, l’émaillage d’un bol ou d’une assiette peut relâcher des éléments au contact de l’eau ou des aliments. C’est pour cela que l’on recommande un émaillage sans plomb pour les poteries alimentaires. Malheureusement, le plomb n’est pas l’unique composé toxique des émaux, on retrouve le cadmium, l’aluminium, le cobalt, le baryum ou le cuivre. Comme pour leur manipulation, l’idéal est de respecter des règles quant à leur usage pour vos pièces :
- Respecter les températures de cuisson des émaux car de mauvaises cuissons créent de l’instabilité moléculaire.
- N’utiliser que des émaux sans plomb conçus pour l’usage alimentaire si vous produisez des pièces de vaisselle.
- Si vous fabriquez vos émaux de A à Z, testez vos émaux ! Il existe des tests « maison » qui vous permettront de vérifier la stabilité de votre émaillage.
Toxicité pour l’environnement
Et oui, dans notre processus de création de poteries émaillées, il ne faut pas oublier de prendre en compte notre impact sur l’environnement. En effet, la libération de ces minéraux, oxydes et dérivés métalliques a des conséquences sur l’environnement.
Lorsque tu produits tes pièces, tu crées des déchets :
- les restes d’émaux qui trainent dans ton atelier au fond des seaux ou en tas de poussières après nettoyage.
- les émaux qui se sont déposés sur les outils que tu utilises pour émailler.
L’idée principale pour limiter la dispersion de tes déchets d’émaillage dans la nature, c’est d’éviter de les évacuer avec l’eau de nettoyage dans tes canalisations.
Pour cela, il existe une technique simple : utilise un bac de décantation dans lequel tu vas regrouper tes résidus d’émaillage et faire un prélavage de tes outils souillés. Après décantation, tu pourras extraire un maximum d’eau de surface et cuire le reste avec tes pièces dans un bac en argile déjà cuite. Tu obtiendras un paquet d’émail solidifié que tu peux alors déposer à une déchetterie.
Règlementation actuelle
La réglementation actuelle ne s’occupe que de la toxicité pour le consommateur. Au point de vue réglementaire, le sujet est complexe et en pleine évolution suite à des débats au niveau européen. Actuellement, la règlementation exige que l’on fasse un test de relargage de cadmium et de plomb sur les pièces alimentaires. Il existe également une recommandation de test concernant l’aluminium, le cobalt et l’arsenic.
SI tu es professionnel et que tu souhaites t’informer sur les responsabilités, le prix de test en laboratoire et les évolutions probables sur le sujet, je te propose de visionner ce Café Poterie pour lequel j’ai reçu deux membres du Collectif National des Céramistes travaillant sur le sujet.
Pour information, il faut compter en 2023 75€ pour tester l’intérieur d’une pièce et son buvant pour le plomb et le cadmium. Et rajouter 150€ de plus pour l’aluminium, le cobalt et l’arsenic. Je vous rappelle que le test se limite aux 5 éléments de la réglementation, ça reste limité comme test mais au moins vous êtes couverts. De plus, on peut supposer qu’un émail qui ne relargue pas d’alumine est un émail stable chimiquement. Il y a peu de probabilités qu’il relargue d’autres éléments.
Règles pour diminuer la nocivité des émaux céramique
Concernant les test officiels, c’est faisable mais c’est cher. Il faut donc prendre des précautions en suivant ces principes :
- Limiter l’utilisation des oxydes les plus toxiques dans nos émaux.
Aujourd’hui, il existe des tas de couvertes et d’émaux sans plomb. Il faut systématiquement utiliser ces produits pour nos pièces alimentaires. Concernant le cobalt ou le cadmiun ou pire l’aluminium, c’est plus compliqué…
- Respecter les températures de cuisson des émaux prêts à l’emploi, des couvertes et des émaux que nous fabriquons.
- Favoriser des couvertes « brillantes » dans les zones en contact avec les aliments (intérieur d’un bol par exemple) ou avec les lèvres. Les émaux craquelés sont à éviter car leur porosité favorise les migrations mais également la prolifération de bactéries. Évidemment les zones sans risques (extérieur du bol) peuvent accueillir toute sorte d’originalité !
- Utiliser des matériaux prévisibles dont on connaît la composition. C’est la règle si on se lance dans la réalisation de nos émaux pour savoir si la formule de notre émail sera stable ou pas.
- Si tu réalises tes émaux vérifie les rapports R2O/RO et les rapports silice /alumine. Pour diminuer la nocivité des émaux céramique faits maison, je t’invite à suivre notre formation sur la fabrication des émaux.
- Détecter et corriger le tressaillage ou l’écaillage de ton émail.
- Réaliser des tests de résistance sur ton émail pour t’assurer de manière pratique de sa solidité, elle est un excellent indicateur des risques de relargage de molécules.
Tester la nocivité des émaux céramique
Beaucoup de céramistes fabriquent leur émaux à partir de recettes de composants élémentaires ou en modifiant des couvertes. Dans ce cas, il est plus difficile de s’assurer de la stabilité de notre émail car l’ajout de chaque composant modifie la température de fusion idéale de l’émail, nous éloignant toujours un peu plus des données fabricant.
Une attention supplémentaire doit être porté aux émaux mattes. En effet, un émail peut être matte pour deux raisons. La première est une cristallisation due à sa composition chimique. La seconde est une sous-cuisson. Dans ce cas, ses caractéristiques sont dégradés le rendant probablement impropre à l’usage alimentaire.
Tester la résistance de tes émaux va te permettre de t’assurer de leur solidité et donc de limiter au maximum le risque de relargage. Effectue ces tests, et en cas de doute, modifie ton émail ou contacte un laboratoire.
Test de résistance à l’acidité
Presse un citron entier dans ta pièce à tester. Laisse le jus et le citron pendant une nuit dans la pièce. Le lendemain, nettoie la pièce et observe l’émail mis au contact du citron. S’il a changé de texture ou de couleur, c’est qu’il ne supporte pas bien l’acidité.
Dans ce cas, tu ne pourras pas utiliser ton émail tel quel. Il faudra en changer ou le modifier pour améliorer sa résistance chimique.
Test au lave-vaisselle
Le lave-vaisselle expose nos pièce à une température d’eau entre 50 et 60°C. Les pièces sont exposées à des agents alcalins nocifs pour les émaux. Place une pièce plusieurs semaines dans le lave-vaisselle en le faisant tourner régulièrement. Ainsi, si tu constates que la brillance diminue ou que la couleur change, dis-toi que ton émail n’est pas bien vitrifié.
Test de résistance aux rayures
Pour ce test, frotte un objet en métal saillant sur ta pièce émaillée. Si une rayure apparait et qu’elle ne disparait pas en frottant avec ton doigt, ton émail est trop tendre. Sa structure moléculaire est fragile, favorisant un risque de relargage. De plus, tes pièces risquent d’être couvertes de rayures après quelques mois d’utilisation alimentaire, ce qui ne ravira pas forcément ton client.
Il va falloir modifier ton émail pour lui apporter plus de solidité.
Test de résistance thermique
Pour tester la nocivité de tes émaux céramique, laisse ta pièce à tester une nuit dans un congélateur. Le matin, préchauffe ton four de cuisine à 180°C. Lorsqu’il est à température, transfère la pièce du congélateur directement dans le four. Si ta pièce résiste à cette variation subite de température, elle ne risque pas d’éclater, de se fissurer ou de se craqueler lorsque ton client l’exposera à des variations de températures. (ex: boire un thé bouillant par une belle journée d’hiver à -5°C.
SI elle ne résiste pas, tu devras vérifier l’accord entre ton tesson et son émail ou modifier ton émail.
Test au micro-ondes
La pièce à tester est remplie d’eau et passée 1 minute au micro-ondes. Si tu observes que le niveau de l’eau a baissé, c’est qu’elle a été absorbée ce qui met en évidence une porosité de ton émail. Le risque de relargage est grand. Si ta pièce s’écaille ou se fissure, ton émail n’est trop fragile ou n’est pas bien accordé à ton tesson. Enfin, si tu as des étincelles, c’est que ton émail contient des métaux réactifs au micro-ondes, tu pourras en informer ta clientèle.
Évidemment, réaliser tous ces tests s’avère lourd et contraignant. Essaie d’en faire régulièrement pour diminuer le risque de nocivité de tes émaux céramique. Mais garde en tête que le relargage ne se produit pas de façon massive et en quelques secondes donc ce sujet ne doit pas être une source de peur dans notre métier ou loisir.
Cependant, je pense qu’il est nécessaire de garder ces notions en tête dès que l’on s’aventure dans des essais d’émaux plus atypiques, surtout au niveau des textures. Ces tests deviennent alors un minimum pour pouvoir travailler sereinement. En cas de doute, les tests en laboratoire, bien que chers, restent incontournables.