Chaque argile a une température de cuisson idéale. Pourquoi ? Que se passe-t-il de si important à cette température ? Les fabricants nous fournissent souvent des plages de température mais lorsque celles-ci couvrent 100°C ou 200°C, comment choisir ? Doit-on cuire au plus bas, au plus haut ou au milieu ?
Ces questions, tous les céramistes se les posent un jour. Nous allons tenter d’y répondre dans cet article.
Cet article fait partie du dossier « Argiles » qui regroupe 8 articles :
1 – Les argiles en céramique
2 – Choisir son argile en poterie ou en sculpture
3 – Le Guide de la porcelaine pour céramiste
4 – Le Guide du grès pour céramiste
5 – Le Guide de la faïence pour céramiste
6 – L’ argile autodurcissante ou argile sans cuisson
7 – Quelle est la température de cuisson idéale d’une argile ?
8 – Tester les propriétés d’une argile
Pourquoi cuit-on l’argile à hautes températures ?
C’est une question bête mais parfois se poser ce genre de questions peut nous éclairer sur le sens de nos habitudes.
Une pièce façonnée en argile va être tendre et plastique tant qu’elle est humide. Avec le séchage, elle devient plus dure en surface et très cassante. Une pièce uniquement séchée ne serait pas utilisable au quotidien car trop fragile.
La cuisson va rendre notre pièce plus solide. L’évacuation de l’eau et des gaz, le passage du point Quartz et l’exposition aux hautes températures modifient la structure atomique de notre pièce. Cette nouvelle structure augmente sa solidité.
On sait que les terres basses températures, comme la faïence, sont plus fragiles que les terres hautes températures. Alors pourquoi la haute température solidifie plus nos pièces ? Et pourquoi doit-on monter jusqu’à 1200, 1250 voir 1300°C ?
La vitrification de l’argile
Pour comprendre le lien entre température de cuisson et solidité des pièces, il faut s’intéresser aux modifications de structure de l’argile. Avec la montée en température, les particules de notre argile vont se réorganiser pour créer deux structures complémentaires :
- De la silice et des fondants vont se combiner pour former du verre. L’argile se vitrifie.
- De l’alumine et de la silice vont se combiner pour former de la mullite, un silicate d’aluminium. Cette structure permet à la pièce de garder sa forme pendant la vitrification. C’est pour cette raison que l’on considère l’alumine comme un stabilisant. Sans elle, pas de mullite donc la pièce vitrifiée se déformerait fortement comme le verre rouge que manipulent les souffleurs.
La mullite permet une vitrification de l’argile sans déformation de la pièce. Après refroidissement, on obtient une structure très résistante. Ce processus démarre autour de 1050°C. Plus il sera avancé, plus la pièce sera résistante.
La faïence est donc une argile cuite mais non vitrifiée, elle est donc plus fragile. Le grès et la porcelaine sont des argiles vitrifiées.
Importance de la vitrification
Pourquoi la vitrification est-elle si importante ? Après tout, la faïence est utilisée pour de nombreuses réalisations et elle n’est pas vitrifiée. Oui, certes, mais elle est tout de même plus fragile au choc. De plus, la faïence est poreuse, elle doit être émaillée pour rentrer en contact avec de l’eau ou des aliments.
La vitrification apporte solidité et durabilité à une pièce et elle diminue voir supprime également sa porosité. Songez au verre de nos bouteille, c’est un matériel d’une totale imperméabilité. Si elle est menée à son terme, la cuisson d’une pièce en grès ou en porcelaine referme complètement la terre et la rend imperméable. L’émail n’a alors qu’un rôle décoratif.
Pourquoi la porosité est l’ennemi du céramiste (utilitaire) ?
Produire des pièces poreuses n’est pas un souci en sculpture mais ça peut le devenir pour la céramique utilitaire. Pour rappel, une pièce poreuse va absorber et stocker de l’eau lorsqu’elle sera mise en contact avec de l’humidité ou tout élément liquide.
- La présence d’eau peut permettre le développement de bactéries. C’est pas top pour le consommateur qui utilise cette pièce. Et en plus, ça tache ! Les bactéries vont se loger dans les pores et former de petites taches noires peu appétissantes…
- L’eau, ça gèle ! Donc si ta pièce est exposée à du froid, elle peut se fendre par formation de gel.
- L’eau, ça s’évapore ! Si une pièce ayant absorber de l’eau est soumise à de forte température (four, micro onde, lave vaisselle), elle subit des pressions, voir des déformations. Sa durée de vie sera réduite.
- Une pièce poreuse absorbe des éléments mais va aussi plus facilement relâcher des oxydes dans les aliments ou les liquides à son contact. Pas top non plus pour le consommateur.
- Enfin, des études réalisées pour la céramique industrielle montrent que la solidité d’une céramique est directement liée à sa porosité. Plus le processus de vitrification avance, plus la pièce est solide et imperméable.
Bien sûr, un émaillage ( correctement cuit lui aussi ) va permettre d’étanchéifier la zone en contact avec les liquides ou aliments.
Quelle est la température idéale de cuisson d’une argile ?
Pour mieux visualiser le processus de vitrification, je te propose un graphique réalisé par Matt Katz, un chercheur, ingénieur et céramiste américain qui propose des workshops très qualitatifs sur son site (tout en anglais) : Ceramic Material Workshop
Ce graphique montre l’évolution de deux caractéristiques d’une argile haute température en fonction de sa température de cuisson.
- La densité : elle est un indicateur de la solidité de la pièce.
- L’absorption : elle est un indicateur de la porosité de la pièce.
Que peut-on lire sur ce graphique ?
- A 1050°C (température du biscuit ou de la faïence), on a une pièce fragile et poreuse (environ 15%).
- A 1250°C, la pièce n’est presque plus poreuse (moins de 3%) et atteint une densité quasi maximale.
- A 1300°C, la pièce est imperméable et a atteint sa densité maximale.
- A 1400°C, la pièce se dégrade en perdant de la densité, elle est surcuite.
Que doit-on retenir ?
- Il existe une plage de température de cuisson qui permet d’obtenir une porosité quasi-nulle (moins de 3%) et une solidité maximale.
- Sous cette plage, notre argile est poreux et fragile.
- Au delà de cette plage, notre argile redevient fragile.
Le céramiste produisant de l’utilitaire a donc tout intérêt à cuire ses pièces dans cette plage pour proposer à ses clients de la vaisselle plus solide et durable.
Comment déterminer la plage de cuisson de mon argile ?
Pour obtenir une pièce la plus résistante et imperméable possible, il faut pousser le processus de vitrification le plus loin possible pour notre argile. Mais attention, tout va dépendre de ta terre !
Deux cas de figure : tu utilises une pâte céramique du commerce ou tu collectes de l’argile autour de chez toi.
Si tu collectes de l’argile
Je t’invite à consulter l’article « Tester les propriétés d’une terre » pour trouver le test adéquat ainsi que d’autres tests intéressants pour ta démarche.
Si tu utilises une pâte céramique
Quelle question !? Il suffit de lire sur l’emballage ! Mauvaise réponse ! Malheureusement, c’est plus compliqué que ça…
Tous les fabricants et fournisseurs indiquent une plage de température de cuisson pour leurs pâtes céramiques. Cette plage te permet de cuire sans déformations et d’obtenir une pièce solide : c’est la plage pour laquelle la terre aura un bon comportement. Mais elle n’a souvent pas grand chose à voir avec la porosité de ta pièce en fin de cuisson. Je t’invite à aller plus loin en fouillant dans les fiches techniques de la pâte de ton choix. On y trouve les taux d’absorption à différentes températures et tu auras quelques surprises…
Quelques exemples pour mieux comprendre
Exemple 1 : Le grès blanc PRAI
Avec un taux d’absorption de 1,4% à 1200°C, la plage fournie chez Ceradel de 1240°C-1300°C est sécurisante. On obtient même l’imperméabilité totale à 1300°C.
Chez Cigale & Fourmi et Ceram Decor, le PRAI est donné sur une plage de 980°C à 1300°C. Pas d’informations supplémentaires sur son taux d’absorption à 1100°C ou 1000°C mais on se doute que l’on doit être nettement au dessus de 3%. Une tasse de café cuite à 1000°C et partiellement émaillée serait donc plutôt fragile et aurait une durée de vie réduite si elle passe fréquemment au lave vaisselle.
Exemple 2 : Le grès blanc W11
Sa plage de température est de 1000°C à 1300°C. Les taux d’absorption sont de 10,1% à 1100°C, 5,1% à 1200°C et 1,5% à 1300°C. Pour obtenir une argile avec moins de 3% de porosité, il faudra donc cuire aux alentour de 1250°C.
Exemple 3 : Le grès roux GECH3002
Sa plage de température est de 1150°C à 1300°C. Les taux d’absorption sont de 14% à 1100°C, 8,7% à 1250°C et 6,5% à 1300°C. Conclusion : les pièces utilitaires réalisées avec ce grès garderont de la porosité quelle que soit la température de cuisson. On suppose que si l’on cuit cette terre au dessus de 1300°C, elle bullera ou se déformera.
Conclusion
Ce rapport entre température de cuisson, porosité et solidité est une notion intéressante pour améliorer la qualité de nos pièces utilitaires. Il peut s’avérer contraignant dans certains projets et bousculer nos habitudes de travail. Monter nos températures de cuisson, tester de nouvelles terres, adapter nos émaux… Bref, intégrer progressivement dans notre travail de bonnes pratiques demande du travail. Mais cette démarche qualité me parait saine professionnellement. Qu’en pensez-vous ?