Une petite taille, une apparence fragile et une détermination sans égale. Lucie Rie s’est hissée au premier rang des artistes céramistes du XXème siècle, et nous allons ensemble, revenir sur le parcours de cette femme, qui a marqué sa discipline.
Parcours d’une vie
C’est en 1902 que Lucie Rie voit le jour, à Vienne, en Autriche. Elle est le troisième enfant de Benjamin et Gisela Gomperz. Son père exerce la médecine dans le centre de Vienne. Sa mère est issue d’une riche et très influente famille juive. Comme plusieurs des riches familles juives de l’époque, ils vivent dans le quartier d’Eisenstadt. Un précepteur privé fût engagé pour accompagner Lucie dans son évolution dès l’école primaire. Il s’appelle Joseph Hellman. Elle en garde le souvenir d’un homme à la fois intimidant et bienveillant.
L’importance de l’entourage de Lucie
Son oncle
La jeune Lucie est entourée d’un autre homme qui l’initiera vers sa future vocation; son “oncle Sandor”.
C’est un homme qui voyage beaucoup et un passionné d’art et d’artisanat. Il transmit à Lucie son goût pour l’archéologie et l’architecture. Il revenait de ses voyages toujours chargé de souvenirs. Ce fût grâce à sa collection provenant des ses fouilles locales dans ses propres hectares de vignobles qu’elle découvre pour la première fois des poteries romaines.
Son frère
Son grand frère Paul, joue également un rôle important, voir décisif dans la carrière de sa petite soeur. Il fait en sorte qu’elle obtienne un professeur de dessin privé, et il convainc ses parents de lui donner une véritable formation artistique. Tout juste âgé de 19 ans, il décède d’une balle dans la bouche suite à son engagement sur le front d’Italie pendant la Grande Guerre. Lucie n’a alors que 12 ans, et reste profondément traumatisée par cet évènement.
À l’école, Lucie montre du goût pour les matières scientifiques. Sa famille s’imagine donc qu’elle suivra une formation technique et qu’elle fera carrière dans le domaine du médical. Finalement, elle fait son entrée en 1922 dans une école d’art germanophone, la Kunstgewerbeschule.
Elle eut alors le sentiment de décevoir les attentes de son entourage en débutant une formation jugée moins sérieuse. Elle montre rapidement un intérêt certain pour ses cours de céramique et garde son enthousiasme et sa fidélité au tournage pour tout le reste de sa vie. Rapidement, son travail interpelle et dès 1925, elle présente ses premières créations à l’Exposition internationale de Paris.
En 1937, elle y décroche l’une de ses premières et nombreuses distinctions.
La technique de Lucie Rie
Tout son travail jusqu’en 1948 se fait sur faïence tendre. Elle traverse Vienne en tramway pour cuire ses pièces dans le four le plus proche. Elle décore et émaille ses pièces sur cru pour diminuer ses risques de les casser lors du transport. L’émaillage sur cru ou monocuisson consiste à ne faire cuire qu’une fois les pièces.
Sa pratique de la monocuisson
Une pièce finement tournée est sujette à se déformer ou à se fendre quand on la soumet non cuite aux chocs de l’immersion dans le seau d’émail. C’est pour cette raison que Lucie n’émaille ni par trempage ni par versage : elle appliquait simplement l’émail en couche épaisse avec une brosse plate de peintre en bâtiment, pendant que le pot tourne sur la girelle. Elle commence par appliquer l’émail sur l’extérieur, puis à l’intérieur de son bol ou pot.
Certains défauts de glaçure, comme “les retirements”, sont minimisés par le passage au pinceau. Elle s’assure que les pièces sont complètement sèches avant l’enfournement car s’il reste la moindre humidité, l’eau chimiquement combiné à la terre, peut faire éclater le pot si la première montée en température est trop rapide. Pour en savoir plus, consulte cet article sur la cuisson du biscuit.
On trouve dans son atelier deux tours de potier à pieds. Ces tours diffèrent du modèle anglais typique dans le sens ou la girelle était surélevée au lieu d’être placée au milieu d’un bac, dont les bords retiennent la terre et l’eau.
La seule protection de la potière est donc son tablier de toile. Ce type de tour amène la personne qui l’utilise à ne pas utiliser trop d’eau de manière à ne pas se retrouver submergé.
“Si vous utilisez trop d’eau, au bout de deux minutes vous ne maitriserez plus le pot et ce sera lui qui vous entrainera”.
Ce n’est que dans les années 1960 que Lucie fera poser un moteur sur son tour de manière à réduire l’effort fourni par le pied.
De la fin des années 1940 et pendant une vingtaine d’années, Lucie s’emploie à la technique du sgraffite.
Amitié et travail
La vie de Lucie est marquée par ses nombreuses amitiés.
En 1938 elle s’installe en Angleterre pour fuir le nazisme qui gangrène son Autriche natale. Elle se sépare également de son mari Hans Rie, qu’elle a épousé dix ans plus tôt à Vienne.
Pour gagner sa vie, elle se lance dans la fabrication de boutons et de bijoux en céramiques , qu’elle vend à des couturiers.
Son atelier est une ancienne écurie qui lui sert également à recueillir ou employer des réfugiés de guerre. C’est de cette manière, qu’en 1946, elle fait la rencontre de Hans Coper.
Il travaille d’abord en qualité d’assistant dans son atelier. Elle lui enseigne le tournage, et ce dernier se révèle être un excellent potier. Il fera lui aussi carrière dans cette discipline. Ils travailleront par la suite dans le même atelier jusqu’en 1958.
Lucie s’affranchit des traditions et figure au premier rang des artistes céramistes du XXème siècle, accompagnée de Hans. On assiste alors aux prémices d’une belle et fidèle amitié. Leur collaboration reste fondamentale dans l’oeuvre de Lucie Rie tout au long de sa vie.
En 1981, son ami et grand admirateur décède. Elle travaille dur à approfondir son travail dans ce que certains appellent “sa période post-Coper”.
Les céramiques de Lucie commencèrent à être reconnues dans les années 50, où elle expose à New York, en Angleterre, à Milan etc. L’Art Council d’Angleterre la consacre en lui dédiant une exposition en 1967. À la fin de la guerre Lucie affirme son style : un mélange de modernité et d’influences antiques, voire préhistoriques qui se caractérise par une recherche de pureté austère assumée.
L’esthétique de ses créations
Elle crée des pièces fonctionnelles de haute qualité, notamment des bols et des vases.
Connue pour sa technique d’émail, elle révèle des surfaces chatoyantes et des couleurs riches. Son travail se démarque de celui de Bernard Leach, autre figure marquante de la poterie anglaise du milieu de XXème siècle, et de Hans Coper, qui lui s’oriente rapidement vers des créations plus monumentales.
Ses réalisations témoignent d’un naturel qui implique une philosophie fonctionnelle.
Les poteries de Lucie sont d’une simplicité trompeuse. Elle réunit toutes ses connaissances en chimie de manière à obtenir des émaux aux couleurs éclatantes. Des pièces à la fois simples et sincèrement subtiles voient le jour entre les mains de Lucie.
Elle allie force, robustesse et fragilité, à l’image de sa personnalité.
Pour conclure
Travailleuse infatigable, elle sera victime de plusieurs infarctus mais continuera de travailler sur son tour jusqu’à ses 90 ans.
Livres sur Lucie Rie
Le travail de Lucie Rie a été exposé dans des galeries et des musées du monde entier, et elle a reçu de nombreux prix d’excellence et une notoriété au sein de son pays d’adoption, qui l’honorera de ses plus hautes distinctions (faite officier de l’Ordre de l’Empire Britannique en 1968, elle est ensuite élevée au grade de « Dame Commander » en 1991).
C’est en 1995 qu’elle décède à l’âge de 93 ans, après 4 années de maladie invalidante.
Tout au long de sa vie, Lucie n’a cessé d’expérimenter et d’innover.