Lisa Allegra, designer et céramiste, nous partage son parcours inspirant où création, indépendance et exploration se mêlent. De ses débuts en école d’art à Strasbourg à l’ouverture de son propre atelier à Barcelone, elle dévoile son approche du design et de la céramique, les défis qu’elle a rencontrés et les philosophies qui guident son travail. Dans cet entretien, elle explore son lien profond avec la matière, l’importance de la narration dans ses collections, et son évolution vers l’autonomie créative.
Lisa Allegra, parle-nous de toi et de ton parcours ?
J’ai étudié aux Arts Décoratifs de Strasbourg, une école qui met l’accent sur l’expérimentation des matériaux. J’y ai obtenu un diplôme en design objet. Là-bas, on travaille avec divers ateliers : verre, céramique, bois, métal, reliure, joaillerie… Ce n’est pas une école d’art appliqué traditionnelle. On ne commence pas par apprendre des techniques, mais par le projet, en cherchant le matériau le plus adapté et en testant énormément.
Après mes études, j’ai intégré des studios de design à Paris. Puis, j’ai décidé de faire un tour du monde pendant un an, ce qui a profondément nourri mon approche de la création. À mon retour, un concours remporté m’a donné l’opportunité d’éditer un objet. Cela m’a motivée à me lancer en solo, même si, à l’époque, c’était encore rare de travailler ainsi en tant que designer.
Les débuts de Lisa Allegra en tant que jeune designer indépendante
Au départ, c’était très difficile. Il fallait trouver des éditeurs pour produire ses projets, ce qui signifie dépendre du désir et des contraintes d’autres personnes. Je passais énormément de temps à démarcher dans les salons, à présenter mon travail, à essuyer des refus ou à rencontrer des freins comme la faisabilité ou les coûts.
C’est ce qui m’a poussée à travailler chez Diptyque. Je voulais intégrer un univers où les projets bénéficient de moyens suffisants et où l’on travaille en équipe. Cette expérience m’a permis de découvrir un nouveau cadre de création tout en élargissant ma perspective.
Pourquoi as-tu choisi de te concentrer sur la céramique ?
Après trois ans chez Diptyque, j’ai ressenti le besoin d’indépendance. Je voulais être autonome et ne plus dépendre d’éditeurs. Je me suis orientée vers la céramique, un matériau qui me correspond profondément. Cela m’a permis de concevoir, fabriquer et communiquer mes projets moi-même, avec mes propres moyens.
À l’époque, c’était encore inhabituel, mais aujourd’hui, de nombreux créateurs embrassent cette autonomie. Cette démarche demande de la patience et une grande capacité à jongler entre les multiples casquettes que requiert le métier.
Comment as-tu vendu tes premières créations ?
J’ai essayé de tout faire : réseaux sociaux, envoi de projets à des galeries, contact avec des journalistes… J’ai appris qu’il est essentiel de ne pas s’arrêter à une absence de réponse. Travailler chez Diptyque m’a aidée à séparer l’aspect affectif de la création de celui de la communication.
Parler de son travail et le montrer au plus grand nombre, c’est honorer l’effort investi en amont. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus détendue dans ma manière de présenter mes créations. J’ai aussi compris l’importance de persévérer, car chaque échange, même mineur, peut porter ses fruits plus tard.
Tu es aujourd’hui basée à Barcelone. Vois-tu des différences avec la France en termes de créativité ?
Le rythme de vie est très différent. En France, notamment à Paris, le travail est souvent synonyme d’intensité, parfois même d’épuisement. Ici, en Espagne, il y a un équilibre entre le travail et la vie. Les gens profitent du beau temps, des cafés, et cette ambiance détendue se reflète dans leur manière de travailler.
Personnellement, cela m’a appris à ralentir, à profiter davantage du processus créatif tout en restant productive.
Peux-tu nous expliquer comment tu conçois une collection d’objets ?
Je commence toujours par une histoire. Chaque objet doit raconter quelque chose et s’intégrer dans une famille cohérente. Ensuite, je travaille sur les connexions entre les objets, leurs proportions, leur équilibre.
La céramique, en particulier, me permet d’expérimenter avec des formes fragiles et des jeux d’équilibre. J’aime concevoir des objets qui demandent qu’on en prenne soin, comme un verre en cristal.
La conception passe par plusieurs étapes : l’écriture de l’histoire, la création d’une famille d’objets, puis les croquis. Une fois les idées claires, je passe aux maquettes et aux prototypes jusqu’à obtenir un modèle prêt à être reproduit.
Les techniques de Lisa Allegra pour travailler la céramique
Je fais principalement du modelage et du travail à la plaque. J’utilise des moules pour estampage, ce qui m’aide à créer des pièces similaires tout en conservant un caractère unique. Je travaille aussi avec du grès à haute température, en jouant avec différentes textures selon la taille des pièces.
Pour les grandes pièces, le séchage est crucial. Cela peut prendre un mois, et je vérifie les étapes quotidiennement. C’est un processus qui demande de la patience, mais il est indispensable pour garantir la qualité finale.
Comment gères-tu les défis techniques et logistiques ?
Au fil du temps, j’ai mis en place des processus clairs pour gagner en efficacité : choix des cartons, organisation des envois, facturation, etc. Ces systèmes permettent de consacrer plus de temps à la création.
Mon four actuel est de 210 L, ce qui est un défi pour les grandes pièces. Je les calibre pour qu’elles rentrent, et je les manipule avec soin. Cette logistique est essentielle pour gérer une production artisanale tout en répondant à la demande.
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes créateurs qui souhaitent se lancer ?
Il est essentiel d’oser. Monter un atelier ou lancer sa propre activité peut sembler insurmontable, mais c’est en le faisant qu’on découvre ses capacités. Les obstacles sont inévitables, mais ils se surmontent avec de la persévérance et une bonne organisation.
L’autonomie permet de maîtriser tout le processus, de la conception à la communication. Pour cela, il faut aimer chaque étape, y compris les aspects moins créatifs comme la gestion ou la logistique.
Quels sont les designers ou céramistes qui t’inspirent ?
Je m’inspire beaucoup de l’architecture et des installations artistiques. En céramique, j’admire des créateurs comme Léa Bigot ou Tom and Folk, avec qui j’ai eu la chance d’échanger. Ces partages sont essentiels pour avancer, comprendre les défis communs et découvrir de nouvelles idées.
Ecouter l’interview de Lisa Allegra
En explorant la matière et en racontant des histoires uniques à travers ses objets, Lisa Allegra a su construire un univers à son image. Entre persévérance et passion, son parcours est une source d’inspiration ! J’espère que cette interview t’aura donné les pistes pour oser et te lancer. Partage-nous tes impressions !