Vous vous êtes sûrement déjà fait la remarque un jour ou l’autre, au détour d’un compte insta ou pinterest, en vous extasiant sur de la jolie vaisselle en boutique de créateurs.trices ou en participant à un stage tour : la céramique est, en grande majorité, pratiquée par des femmes.
Nous sommes d’accord, qu’aujourd’hui, les cours de modelage ou de poterie, sont remplis de femmes de tous âges. Les marchés de potiers sont surtout des marchés de potières . Les CAP tournage ou les promo céramique des écoles d’art, accueillent surtout des étudiantes. Les artistes qui choisissent l’argile comme médium sont très souvent des femmes. Et les copains céramistes sont d’abord des copines. Vous validez ?
Pourquoi y a t-il autant de femmes dans le monde de la céramique ?
Afin de corroborer mes intuitions, je me suis amusée à compiler plusieurs données statistiques ( obtenues de manière, pas du tout formelle ou scientifique).
- Sur la base de 300 comptes instagram suivis : 89% sont administrés par des femmes, céramistes professionnelles et amateurs.
- Après lecture d’un an de la Revue de la Céramique et du Verre, je compte, parmi les céramistes contemporains présentés (portrait ou actualité) 60% de femmes…
- Chaque semaine, je vois une 50 aine d’élèves à mes cours de sculpture/modelage. Et il s’agit à 87% des femmes…
Point historique sur les femmes dans la céramique
On peut maintenant se poser la question suivante : Pourquoi sont elles si nombreuses ? (j’ai failli écrire pourquoi sommes NOUS si nombreuses ?, parce que vous êtes en majorité des lectrices, mais soyons inclusif.ve.s).
Voici quelques éléments de réponses :
A travers l’histoire, cet artisanat ne déroge pas à la règle d’un métier quasi exclusivement masculin (et oui ! vu que ça rapporte de l’argent…). A de très rares exceptions près, le potier était le patron, et transmettait son savoir faire à son fils, plutôt qu’ a sa fille (celle ci quitterait la maison une fois mariée, donc à quoi bon…).
Toutefois, les femmes pouvaient exercer des savoirs faire (contre petite rétribution) en lien avec leur activité domestique : cuisine, couture, tissage… Mais, parfois, profitant d’une frontière floue, concernant les « arts ménagers » , il arrivait qu’elles puissent pratiquer la céramique.
Surtout au moment du développement de l’industrialisation du travail, au XIX et XXème siècle. Une main d’œuvre importante était alors nécessaire pour produire en série et répondre aux nouveaux besoins commerciaux. Les femmes vont alors rejoindre
ateliers et usines céramiques car la société de l’époque estimait qu’elles avaient « naturellement » les capacités de fournir un travail minutieux, docile et appliqué, ne nécessitant pas l’usage de force physique importante. Et Bim ! on les colle à la peinture, à l’émaillage, à la déco , dans les usines et manufactures (les fours et tours étant réservés aux bonhommes…)
Bref, ce petit aparté historique pour montrer que la société a toujours eu une légère tolérance pour la présence des femmes dans le monde de la céramique, du moment que cela ne leur permettait pas de gagner trop d’argent et donc d’indépendance…
Etude de Flora Bajard
Depuis les années 1960-1970, cycliquement, des urbains viennent s’installer à la campagne, des ingénieurs quittent leurs emplois pour des professions plus manuelles. Des tas de personnes cherchent à vivre un quotidien riche de sens en harmonie avec des
principes écologiques et sociaux.
Ce contexte de « retour à la terre » en tête, on peut se pencher maintenant sur l’étude de la sociologue du travail Flora Bajard (elle même fille de céramistes). Elle a enquêté auprès de la communauté de céramistes d’art professionnels entre 2009 et 2018.
Son étude nous apprend que le métier est aujourd’hui fortement féminisé. 70% de céramistes interrogé.e.s sont femmes,. Elles ont des profils assez similaires : issues de classe moyenne et supérieure, éduquées, ayant fait des études supérieures. Certaines ont
fait une reconversion professionnelle pour « changer de vie ». Autre fait très intéressant que montre l’étude de Flora Bajard, c’est que depuis les années 1970, le nombres d’hommes céramistes à s’installer décroit : ils étaient 67% à monter leur atelier au début des années 70 et ne sont plus que 15 % en 2000 (contre 85% de femmes).
Pourquoi, le nombres d’hommes céramistes décroit ?
Aujourd’hui, les garçons et les hommes, dans le domaine de l’artisanat, vont se tourner vers des métiers ayant l’image d’une nécessaire force physique et endurance : ferronnerie d’art, verre soufflé, fonderie, travail du cuir…
Tandis que les femmes évoluent dans des domaines, traditionnellement liés à leur condition passée : le textile, la broderie, la couture, la restauration d’objets. Et la céramique donc. Certes, il s’agit là de généralités, les métiers d’arts aujourd’hui tendent à plus de mixité. Grâce à des campagnes de communication institutionnelles qui encouragent les jeunes filles à se diriger vers ces métiers au savoir faire ancestral. Et c’est très bien !
Art amateur
Les pratiques amateurs maintenant. Les cours et ateliers sont remplis de femmes. Je vous redonne les chiffres : dans mes cours à l’année : 87% de femmes. En majorité il s’agit de retraitées, issues de classes sociales aisées. Et oui, l’activité à l’année coûte plus cher (coût du matériel, des cuissons…) que des cours de Zumba…
De plus, la pratique de la céramique, entre tout à fait dans ce qu’on nomme « les arts d’agréments », autrefois enseignés aux jeunes filles de bonne famille.
Aujourd’hui la pratique d’un art en amateur, est une activité « occupationnelle » acceptable pour des femmes bien sous tout rapport aux yeux de la société et des normes de convenances. Des statistiques publiques, issues du ministère de la culture montrent d’ailleurs que les femmes sont majoritairement présentes dans la pratique de la danse, de la musique, de l’écriture, du théâtre et des arts plastiques.
Notre petit territoire
Ce que je trouve chouette dans toute cette réflexion c’est qu’au final, on peut se dire que la céramique est pour toutes ces femmes, un petit territoire rien qu’à elles. Qu’elles pratiquent seule dans leur atelier ou en cours collectifs, elles construisent avec application ces moments. Elles se dégagent des contraintes, que ce soit celles d’un emploi salarié ou de la charge mentale familiale (mais l’un n’exclut pas l’autre…). Elles se fabriquent leur espace, « une chambre à soi » où elles se sentent en sécurité, sereines, et peuvent librement créer et rêver.
Pour conclure
Pour conclure : la pratique de la céramique ne contribuerait-elle pas aussi à l’émancipation féminine ? (Vous avez 4h.)
(Question bonus : le patriarcat brûlerait-il mieux dans une cuisson en réduction ? lol )
Cet article a été écrit par Maude Leduc, céramiste / sculptrice et hôte du podcast Céramik Podcast. Elle est professeure de sculpture dans la formation Débuter en Sculpture sur l’Atelier du Bol.