Tous les jeudis j’accueille en live des artistes, céramistes, toujours en lien avec la poterie. Le but est de vous faire découvrir leur parcours, leurs créations, leurs ambitions. Ces lives sont une source d’inspiration pour tous les amateurs d’argile que l’on soit apprentis céramistes ou céramistes confirmés. Voici l’interview d’Elisa Stoppani alias « La poudre » qui va nous parler d’elle et d’un problème récurrent dans le métier de céramiste : le salaire du céramiste
Elisa Stoppani s’est installée en tant que céramiste il y a 5 ans. Elle fait partie des céramistes qui ont choisi de faire de leur passion leur travail. Aujourd’hui, elle reprend la route du salariat. Pourquoi ? Elle va nous l’expliquer tout au long de l’interview. Tu peux la retrouver sur ses réseaux sociaux via « La poudre » et retrouver ses créations sur son site internet.
Interview de Elisa Stoppani « La poudre »
Peux-tu nous parler de toi, comment es-tu venue à la céramique ?
J’ai découvert la céramique pendant mes études de BAC Art Appliqué où il y avait une section « céramique ». Après le BAC, que je n’ai malheureusement pas passé car j’ai eu une année très difficile, j’ai eu envie de me former au CAP Tournage en céramique. Cette branche ma finalement beaucoup plu ! J’ai alors continué en passant le BMA et le DMA. J’ai finalement fait tout le cursus céramique.
En sortant de mes études, la réalité de la céramique en 2012 n’était pas du tout le même qu’aujourd’hui. Je n’envisageais pas de m’installer. En-tout-cas, j’étais sûre que ça ne serait pas un métier à temps plein car je connaissais le modèle de l’époque. Il était très difficile et je savais qu’il serait compliqué de vivre avec un salaire de céramiste. D’autre part, je n’avais pas les moyens de m’installer car le matériel était coûteux. J’ai donc commencé avec un « boulot » alimentaire dans lequel je suis restée 6 ans. Pendant cette période, je suis devenu maman d’un petit garçon. Finalement, à l’aube de mes 30 ans j’en ai eu marre ! Je sentais que si je ne provoquais pas un changement, il n’allait rien se passer.
J’ai eu la chance d’avoir une rupture conventionnelle et donc de bénéficier du chômage pendant deux ans. C’est à partir de là que je me suis totalement reconnectée à la céramique que j’avais totalement arrêté pendant 6 ans. Je suis retournée sur les marchés de potiers en tant que bénévole. Puis je me suis rachetée un pain de terre ! J’ai commencé par aller voir Justine Ribera alias « Les petites porcelaines ». Je l’ai épaulée 5 mois dans son atelier le temps de son congé maternité. Ça m’a vraiment donné envie de m’y remettre et dans la foulée tout s’est débloqué. J’ai trouvé un local, j’ai obtenu mon financement pour acheter mon matériel et je me suis lancée !
Et là, je voulais absolument que ça marche donc j’ai tout mis en place. J’avais la boutique sur place et je donnais beaucoup de cours au début. Moi, je voulais par-dessus tout développer une production et vivre de mes pièces, mais je me rapidement rendu compte que c’est très compliqué de jongler entre cours et créativité. Progressivement, j’ai éliminé tout ce qui ne me convenait pas !
Le confinement m’a beaucoup aidé ! J’avais beaucoup investi dans les réseaux sociaux, notamment Instagram, je trouvais ce réseau super chouette et de bonne aide. Pendant le confinement, j’ai créé ma boutique une ligne et j’ai pris la décision de ne plus ouvrir ma boutique physique. J’ai aussi arrêté les cours après le confinement. Je voulais voir ce que ça donnait de n’avoir qu’une boutique en ligne. Et comme beaucoup, j’en suis arrivée très rapidement à faire des ventes éphémères. J’ai trouvé que travailler de cette façon était très confortable. Ça m’a permis d’être plus efficace et de séparer la vente de la fabrication. Avec ce modèle, j’écoulais toutes mes pièces à chaque vente éphémère.
Comment expliques-tu ta faible rémunération alors que tu arrives à vendre toutes tes pièces ?
Attention, je ne veux pas généraliser le salaire du céramiste, c’est mon expérience avec mon organisation. Moi dans mon cas, ce qui me bloque le plus c’est que je suis maman. J’élève mon fils seul et c’est très compliqué de jongler entre les deux. Mon temps n’est pas extensible ! Pour augmenter mon bénéfice, pour moi la solution c’est de produire plus, mais pour l’instant malgré le fait que je travaille beaucoup, je suis bloquée. En effet, je travaille bien plus que 35h par semaine mais ce n’est pas suffisant !
C’est aussi compliqué de ne pas être sur place. Si j’avais mon atelier chez moi, ça aurait tout changé. C’est un modèle qui ne convient pas à tout le monde, mais moi, je suis convaincu que ça fonctionnerait pour moi ! Quand je suis en atelier, je finis de tourner vers 16h et je suis obligée de mettre sous plastique mes pièces car je ne peux pas pas revenir travailler dessus après. Alors que si je suis à la maison, je peux gérer en parallèle ce temps de séchage. Je pense que là dessus j’aurais gagné beaucoup de temps.
Mon chiffre d’affaires est bien, j’en ai conscience. Le problème c’est que j’ai beaucoup de frais. Faire de la céramique coûte très très cher. J’ai déjà tous les frais de l’atelier : électricité, location du local, internet, etc). J’ai à peu près 2000€ de frais par mois dû aux matières premières, à l’électricité, à la prévoyance, aux emballages, aux frais de port et aux cotisations. Le modèle Instagram m’a coûté cher, car j’ai tout fait pour que ça marche. J’ai payé beaucoup de shooting photos pour y mettre mes pièces en valeur.
J’aurais pu trouver des moyens de réduire mes investissement, notamment en gérant seule mes photos ou mon site internet. Ce n’est pas simple d’équilibrer tout ça. C’est pourquoi j’ai décidé de repartir dans le salariat, mais je ne le prends pas du tout comme un échec ! Je le vis comme une façon d’enrichir ma pratique. Être céramiste est un métier très angoissant. C’est un travail incertain. Peut-être que si j’étais moins angoissée, j’aurais produit plus !
Quel est le levier de prix de vente de tes pièces, pour augmenter ton salaire de céramiste ?
J’ai quand même des tarifs qui ont doublé depuis que je me suis installée. C’est compliqué de calculer ses prix. J’arrive à me rémunérer mais ce n’est pas assez et je ne suis pas prête à augmenter mes prix pour le moment. Je préfère trouver d’autres solutions. Il ne faut pas hésiter à proposer des prix qui nous correspondent, à s’autoriser à bien gagner notre vie ! Même si nous mettons des prix élevés pour se rémunérer mieux et toucher 3000€ par mois, c’est très bien. Chacun est libre de faire comme il veut pour avoir un salaire de céramiste qui lui permet de vivre !
Comment imagines-tu la suite entre céramique, second job et rôle de maman ?
Je n’ai pas décidé d’arrêter ! Je me posais des questions depuis un certain temps car physiquement c’est difficile. Même si on peut dire que j’étais dans un modèle confortable car je vendais toutes mes pièces, je ne suis pas sûre que ce modèle soit durable. Je me pose beaucoup de questions sur l’avenir d’Instagram. Il y a de plus en plus de comptes, c’est génial, mais je n’arrive pas à me projeter sur l’avenir. Il fallait donc qu’il se passe quelque chose.
Finalement, j’ai saisi une opportunité qui passait et je vais donc aller travailler chez Solargil . C’est plutôt cool, comme ça je ne vais pas déconnecter de l’argile. Je vais mieux gagner ma vie, gagner du temps et me libérer de cette charge mentale. Et pour la céramique, je n’ai pas du tout envie d’arrêter, je vais me créer un petit coin d’atelier chez moi. Ça va être tout petit, mais ma production va réduire. Il n’y aura plus de pression, ce n’est que du bonus et du plaisir. Parce que quand tu es enfermé dans ce modèle, il faut s’accrocher, ce n’est pas facile. J’ai même eu peur à des moments de perdre ce plaisir de travailler la terre !
Comment faisais-tu pour calculer tes prix de ventes ?
J’ai calculé toutes mes charges, j’ai essayé d’évaluer le temps passé par pièce. Ce n’est peut-être pas assez, mais j’ai du mal à augmenter. J’ai beaucoup observé les prix autour de moi pour voir si j’étais dans une fourchette assez juste. Je pense que là, c’est le cas. Si j’avais continué cette année, je pense que j’aurais augmenté mon bénéfice. Ça fait 5 ans que je me suis installée et j’ai mis beaucoup de temps à trouver mon organisation et comme je t’ai dit, j’aurais moins investi dans les réseaux sociaux.
Le temps passé sur une pièce est aléatoire. J’aurais pu décider de passer moins de temps sur mes pièces, de sauter des étapes, mais j’ai envie de faire des objets qui me plaisent, donc, je ne suis pas prête à sauter des étapes. Je n’ai pas envie de résoudre le problème du salaire du céramiste par ce bout-là !
Ce modèle Instagram te paraît aléatoire, est-ce que tu vois d’autres modèles, d’autres pistes ?
C’est super compliqué parce que pour moi les marchés ne fonctionnent pas. Pour l’instant, je dirais qu’i n’y a pas d’autres modèles. Je pense que je vais continuer à partager mon quotidien sur Instagram, mais sans me mettre de pression. Si j’ai envie de faire une pause de 3 mois, je le ferai. Et Instagram à beaucoup changé, je m’y retrouvais moins. La plateforme a changé entre 2018 où j’ai commencé et maintenant avec l’arrivée des publicités et des vidéos. Et moi, ça a tendance à m’angoisser.
Pour moi, le combat le plus important à titre personnel, c’est d’essayer de trouver une façon de vivre avec cette crise climatique et cet avenir incertain. J’ai choisi un métier hyper énergivore et ce modèle d’Instagram en rajoute une couche parce que je partage sur les réseaux sociaux beaucoup de contenu stocké qui polluent. J’envoie également des colis partout en Europe. J’aimerais aller vers une démarche plus écologique.
Les conseils de Elisa Stopanni
Est-ce que tu aurais des conseils à partager aux céramistes qui se lancent dans cette voix ?
Alors avant tout, une bonne formation, c’est hyper important ! Je vois beaucoup de céramistes autour de moi qui se sont lancés en parallèle de leur formation et qui aujourd’hui galèrent. Malheureusement, c’est difficile de se projeter donc il faut étudier tous les modèles qui existent et ensuite sur concentrer sur un seul. Il faut être très discipliné et avoir conscience que c’est difficile et si vous réajustez le tir en prenant un second job ce n’est pas un échec. Ça reste aussi beaucoup de bonheur, moi j’ai adoré mes 5 années !
Quelques chiffres sur le salaire de céramiste
L’étude de Flora Bajard sur les salaires des céramistes en 2010
Flora Bajard, sociologue du travail a mené une étude en 2010 sur le métier de céramiste. Elle a sondé les potiers sur leur salaire de céramiste. Les résultats de son étude montrent que 66% céramistes interrogé sur 218 personnes, gagnent moins de 1500€ par mois. Seulement 5% sont au-dessus de ce revenu !
Et en 2023 ?
Pour illustrer la difficulté à vivre de la céramique en 2023 nous avons récemment interrogé notre communauté sur leurs conditions de rémunération en tant que céramiste. Tu fais peut-être partie de ceux qui on répondu à ce sondage. En voici aujourd’hui les résultats, basés sur 56 réponses :
La moitié des céramistes ayant répondu ont une rémunération inférieure à 500€. Seulement 2 personnes sur les 56 qui ont répondu gagnent plus de 1500€. Cela est cohérent avec le second graphique montrant que la moitié pratiquent un second job
On retrouve ces personnes qui ont un second job dans la partie moins de 20h par semaine. Est-ce le chat qui se mord la queue ? Je ne pourrais pas te répondre. Cependant, 28,6 % pratique plus de 35h par semaine. Au vu des réponses concernant la rémunération, nous pouvons en déduire que la céramique demande beaucoup de travail pour un salaire qui ne suit pas toujours.
Vos témoignages
- « Choisir ce métier est le choix d’un mode de vie avant toute chose. Il faut être déterminé, passionné et prendre le temps. Ce n’est pas un métier rémunérateur à court terme. Voilà ! »
- « Vivre de la céramique est un travail quotidien de développement d’une « marque » que ce soit en ligne ou en physique. Pour moi, il est possible d’en vivre (sans être riche !) mais il faut développer son activité comme une entreprise, ce n’est pas qu’un métier passion, c’est un métier complet où il faut tout savoir gérer en même temps (communication, marketing, commerce, comptabilité, design et enfin artisanat). »
- « C’est un métier riche qui demande de la patience et de la passion. Les ateliers me permettent de partager et d’expliquer mon métier, les personnes sont très surprises du temps consacré, des nombreuses étapes et des techniques qu’il faut pour réaliser les pièces. Cela me permet de vendre mes créations plus facilement à mon atelier. Il faut cependant avoir des temps de repos, des moments d’évasion pour se ressourcer, et rencontrer d’autres personnes dans des activités différentes. »
- « Ce qui est difficile, c’est qu’avec mon matériel, je suis dépendante de mon local pour exercer mon activité. Pourtant les charges sont trop importantes par rapport à ce que je gagne. C’est d’ailleurs mon problème du moment. Je dois quitter mon local pour raison financière, pour autant, je ne peux pas mettre de four chez moi. J’espère que ce n’est pas la fin totale de ma pratique de la céramique ! »
- « Pas facile et très incertain ces temps-ci… Je suis un peu inquiète et ça a un impacte sur ma productivité. »
- « Je pense qu’il est très difficile de gagner sa vie comme céramiste. Pour moi, c’est avant tout une passion. J’ai la chance de pouvoir compter encore une année sur le chômage, mais ensuite, un job alimentaire sera nécessaire, je pense. »
Ecouter l’interview
Conclusion
En conclusion, les céramistes font face à des défis financiers importants en raison du salaire du céramiste. Cette partie trop longtemps mise de côté vient aujourd’hui sur le devant de la scène. Il est important d’en parler pour trouver des solutions. Ce n’est pas mettre aux oubliettes ce métier, mais réfléchir à un équilibre, à une manière de vendre qui nous convient.
Merci à Elisa « La poudre » pour sa participation ! Je vous invite à écouter l’interview sur notre Instagram.