La cuisson de l’émail est un sujet complexe mais incontournable de la céramique. Mieux comprendre ce qui se passe pour tes pièces pendant la cuisson permet d’éviter la casse. Mieux comprendre ce que deviennent tes émaux dans ton four permet d’éviter des ouvertures de four contrariantes ! ?
Dans un précédent article, on s’est penché sur la cuisson du biscuit ou du dégourdi en céramique. Pourquoi ? Comment ? Les courbes de cuissons de la faïence, du grès ou de la porcelaine, tu retrouveras toutes les infos dans l’article « La cuisson du biscuit en céramique« .
Les étapes de la cuisson d’un émail céramique
Pour aborder ce sujet de façon plus claire, nous allons séparer le tesson de l’émail et voir quels changements implique une cuisson pour chacun de ses éléments de ta pièce.
Les étapes de la cuisson du tesson
Le tesson émaillé a déjà subi une cuisson de biscuit / dégourdi, toutes les molécules d’eau et les matières organiques ont été évacuées ainsi qu’une grande partie des carbonates et sulfates. Pour te remémorer tout ça, tu trouveras les étapes du biscuit dans cet article.
Deux remarques :
- Il se peut que ton tesson contiennent de l’eau s’il n’a pas bien séché après l’émaillage.
- Le tesson va repasser par le point quartz même si la transformation a déjà eu lieu une fois.
A partir de 1050°C, la mullite et la cristobalite se forment. Pas de panique, ces noms effrayants ne correspondent qu’à des réorganisations des molécules de silice et d’alumine en structures plus solides. C’est le début de la vitrification de ton argile. La vitrification complète de la silice se produira à 1300°C. A ce stade, ta pièce aura une solidité et une porosité maximale.
Températures minimale et maximale de cuisson de ton tesson
Lorsque l’on choisit une pâte céramique, le fabricant fournit une plage de cuisson. En effet, les pates céramiques ont chacune une composition chimique qui implique une température maximale de cuisson et une température minimale.
La température maximale ne peut être dépassée car les fondants présents dans la pâte vont provoquer la déformation de ta pièce ou simplement des bulles à sa surface.
La température minimale doit être franchie car, en dessous, la vitrification du tesson sera insuffisante : ta pièce sera trop poreuse et trop fragile. D’ailleurs, tu trouveras souvent une indication sur la porosité de ta terre chez les fabricants. Par exemple : porosité à 1240°C = 1.3%.
D’une manière générale, plus tu cuiras ta pâte fort, plus tu obtiendras des pièces solides et étanches. Mais bien sûr, il faut que ton émail le permette…
Les étapes de la cuisson de l’émail
L’émail est constitué par les mêmes éléments qu’une pâte céramique mais avec des proportions très différentes. Voyons les étapes par lesquelles passe ton émail pendant la cuisson.
Entre 20°C et 120°C, l’eau présente dans ton émail s’évapore.
À partir de 450°C, l’eau de constitution, c’est à dire les molécules d’eau chimiquement liées comme celles présentes dans le kaolin ou la Gerstley Borate, se détachent et disparaissent.
À 573°C, c’est le point quartz.
Dès 700°C, les carbonates et les sulfates commencent à être évacués de l’émail sous forme de gaz. Ces gaz peuvent s’échapper jusqu’à environ 1150°C.
À partir de 1050°C, les feldspath commencent à se mélanger, la mullite et la cristobalite se forment, démarrant ainsi la vitrification.
À la température de cuisson finale, l’émail est fluide et nappe la surface du tesson, c’est à dire qu’il s’uniformise à la surface. La température recherchée a été atteinte, le refroidissement va débuter.
Jusqu’à 700°C, si a composition de l’émail est approprié, des cristaux se forment et de nombreux effets peuvent apparaître.
Autour de 700°C, l’émail a durcit, il se fige.
À 573°C, on repasse par le point quartz. On ouvre le four en dessous de 100°C. La cuisson est terminée.
Courbes de cuisson d’un émail
Comme pour la cuisson du biscuit, on va adapter la courbe de cuisson aux étapes vues précédemment. Les différentes vitesses de chauffe correspondent à des rampes.
Entre 20°C et 120°C, on chauffe à 100°C / heure pour laisser le temps à l’eau de s’évaporer tranquillement de l’émail et du tesson, si l’émaillage a été fait juste avant l’enfournement.
Jusqu’à 520°C, on monte vite à 250°C / heure car on ne risque rien.
Entre 520°C et 600°C, pour passer le point quartz, on ralentit à 100°C / heure. Beaucoup de céramistes ne ralentissent pas à cette étape mais cela peut poser problème avec certaines terres riches en silice. Je vous conseille de faire des essais si vous souhaitez vous essayez à des cuissons plus rapides.
Entre 600°C et 1050°C, on repart à 250 °C / heure car on ne risque rien.
Entre 1050°C et la température finale de cuisson de votre émail, il faut ralentir. On peut se baser sur les rampes définies par les cônes pyrométrique. Cette méthode va te permettre de vérifier le bon fonctionnement de ton four avec des cônes lorsque tu cuis tes pièces. La rampe de cuisson « moyenne » est à 60°C / heure.
Une fois la température de cuisson atteinte, le four s’éteint et on laisse refroidir jusqu’à moins de 100°C pour l’ouvrir.
Courbe de cuisson « moyenne » d’un grès à cône 7
Un exemple avec une courbe de cuisson d’un grès à cône 7. Le cône 7 avec une rampe à 60°C / heure a une température de 1239°C.
Courbe de cuisson « rapide » d’un grès à cône 7
Un exemple avec une courbe de cuisson d’un grès à cône 7. Le cône 7 avec une rampe à 150°C / heure a une température finale de 1257°C.
Je n’ai pas compris cette histoire de cône ?! ?
Mais le cône 7 est-il à 1239 ou 1257 °C ? Réponse : les 2 !
Les cônes pyrométriques sont un sujet à part entière. Si tu as besoin d’explications à leur sujet, je te conseille la lecture de l’article « Les cônes pyrométriques« .
Courbes de cuisson simplifiées
Cette courbe de cuisson est « idéale » mais beaucoup des fours qui peuplent les ateliers de céramistes en France ne sont pas capable de les suivre.
De nombreux fours sont équipés de programmateur ne comprenant que 3 ou 4 segments de programmation, impossible de programmer la courbe précédente.
Les anciens fours sont également limités car leurs capacités « réelles » sont diminuées. Tu auras beau le programmer pour monter à 250°C/h, il n’en sera plus capable et montera à 50°C/h dans les hautes températures. Même récents, beaucoup de fours électriques ne soutiennent pas une vitesse de chauffe de 250°C/h à partir de 900°C.
On va donc adapter la courbe à ces limites et la simplifier.
La première rampe permet d’évacuer l’eau et de passer le point quartz, la seconde vise à atteindre la température de cuisson de ton émail. En pratique, la vitesse de chauffe diminue progressivement selon les capacités de ton four. Le palier final sert de variable d’ajustement. Si tu penses que ton émail est surcuit, diminue le palier final et s’il est sous cuit, allonge le. Un palier peut durer de quelques minutes à 30 minutes. Sache qu’au delà, tu mettras ton four à rude épreuve.
Si ton four est puissant et qu’il monte rapidement (au de là de 150°C/h) à la température finale, il faudra probablement augmenter un peu la durée du palier pour que ton émail reçoive suffisamment de chaleur.
Inversement, si ton four est vieux et mets beaucoup de temps à monter en température au delà de 1200°C, tu pourras raccourci voir supprimer le palier car la chaleur reçu par ton émail sera suffisante.
Mon choix de courbe de cuisson
Personnellement, j’essaie de cuire en tenant compte des cônes pyrométriques. J’utilise un four Skutt de 120 Litres équipé d’un super programmateur qui me permet de faire à peu près tout ce que je veux ! Pour ceux qui ne veulent pas se prendre la tête, il propose même des programmes déjà établis pour chaque cône. J’ai aussi un petit four à grès de 11 Litres qui me sert pour des essais d’émaux ou des pièces « test ».
En pratique, dans mes 2 fours, j’utilise la courbe de cuisson « moyenne » avec une rampe finale à 60°C/H. Une seule différence : la rampe à 250°C/h n’est pas soutenable pour mes fours, j’ai diminué à 200°C/h. Je pense qu’il faut avoir un four à gaz pour monter aussi vite au dessus de 1000°C.
Remarques sur la température de cuisson de ton émail
Des plages de températures accompagnent les émaux ou couvertes vendues par les fabricants. Évidemment, il faut que cette plage soit compatible avec la plage de température de cuisson de ta terre. SI tu as de la marge entre les deux plages, opte pour la température la plus élevée. Ton émail devrait le supporter et ta pièce sera plus solide et imperméable, comme vu plus haut.
Si tu fabriques tes émaux, tu auras une plage de température avec ta recette. Elle est exprimée en degrés sur certaines recettes ou en cônes pyrométriques, comme sur le site de recettes Glazy. La valeur en cône t’indique donc une température et une vitesse pour l’atteindre.
Les fabricants d’émaux nous donnent une plage de température mais n’indiquent pas de cône donc on ne sait pas à quelle vitesse de chauffe l’atteindre. C’est la tradition française, on ne cuit pas au cône mais à une température donnée avec un palier de maintien. Cela correspond justement à la courbe « simplifiée ». Pour avoir une équivalence en cône pyrométrique, pars du principe que la température de cuisson de ta terre ou de ton émail correspond plus ou moins à un cône cuit avec une rampe de 60°C/h. A toi de tester en tenant compte des caractéristiques de ton four.
Mon émail n’est pas assez cuit. Que faire ?
Un émail sous-cuit va être matte, voir pierreux. Il sera fragile et poreux. Si tu as ce type d’émail et que tu n’attendais pas un tel résultat, il est probablement sous cuit.
Dans un premier temps, si tu es sûr de ta recette, il faut vérifier que le problème ne vient pas de ton four grâce aux cônes pyrométriques.
Si ton four et ta recette sont fiables, tu as deux solutions :
- Adapter la courbe de cuisson. Pour cela, je te conseille de ne pas toucher ta courbe et de simplement ajouter ou allonger un palier à la température de cuisson finale.
- Modifier ta recette. Pour cela, il faut te plonger dans la chimie des émaux. Je te conseille de suivre notre formation dans l’Atelier du Bol. (bientôt disponible)
Mon émail est trop cuit. Que faire ?
Un émail sur-cuit va couler et former des bourrelets par gravité.
Dans un premier temps, si tu es sur de ta recette, il faut vérifier que le problème ne vient pas de ton four grâce aux cônes pyrométriques.
Si ton four et ta recette sont fiables, tu as deux solutions :
- Adapter la courbe de cuisson. Pour cela, tu dois augmenter la température finale de cuisson et allonger la rampe finale si tu souhaites respecter les rampes définies par les cônes pyrométriques. Si tu cuis avec un palier, réduis le ou supprime le.
- Modifier ta recette. Pour cela, il faut te plonger dans la chimie des émaux. Je te conseille de suivre notre formation dans l’Atelier du Bol. (bientôt disponible)
Cuissons « spéciales » d’émaux
Il existe 1001 façons de cuire les émaux. Je t’ai fourni une courbe « standard » pour que tu puisses comprendre l’essentiel du processus mais il existe d’autres courbes pour des émaux spécifiques.
Courbe de cuisson d’émaux cristallins
Les cristaux se forment lors du refroidissement. Pour amplifier ces cristallisations, on va jouer sur la durée de refroidissement entre la température finale et 700°C. En fonction des oxydes à l’origine des cristaux, on va définir une rampe de refroidissement, voir des paliers. Les recettes sont souvent confidentielles et demandent de nombreux essais. Si tu souhaites développer des émaux de cette famille, le fait de simplement ralentir le refroidissement sur cette plage aura un effet certain sur tes émaux.
Courbe de cuisson d’un émail en réduction
Au cours d’une cuisson en réduction, l’atmosphère du four est pauvre en oxygène, ce qui libère du carbone sous forme de monoxyde de carbone CO et de dioxyde de carbone CO2 qui absorbent l’oxygène partout, y compris dans les oxydes métalliques présents dans les émaux ou peintures sous émail. Le céladon, le rouge cuivré et le shino sont des cuissons en réduction typiques.
Dans un four à gaz ou à bois, le combustible brûlé permet de faire monter la température. Pour favoriser la réduction, on diminue l’alimentation en oxygène en obturant progressivement le tirage de la cheminée. Cette privation d’oxygène doit s’effectuer entre 800°C et la température de cuisson finale. Pour certains émaux, la réduction peut également se faire pendant le refroidissement.
Je crois que la cuisson de l’émail n’a plus de secret pour toi. Cet article est à digérer en parallèle des articles concernant la cuisson du biscuit et les cônes pyrométriques.
Si tu veux approfondir ta compréhension des émaux, fonce te former dans l’Atelier du Bol avec nos formations dédiées aux émaux en céramique.