Récolter soi-même de l’argile sauvage, c’est renouer avec un savoir-faire ancestral, ancré dans les paysages et les histoires locales. Partout en France, des indices discrets, noms de rues, anciens fours, tuileries et briqueteries, racontent la présence de terres à poterie, de la faïence à la porcelaine en passant par le grès. À qui sait lire le terrain et la toponymie, ces gisements se dévoilent, complétés par les cartes géologiques et quelques outils numériques bien choisis.
Cet article propose unitinéraire simple et concret pour passer à l’exploration, puis à la collecte raisonnée : où chercher, quand se rendre sur place selon les saisons, et avec quel équipement minimal partir. Vous y trouverez des repères pratiques, des astuces de terrain et des conseils de préservation, afin de prélever juste ce qu’il faut, au bon endroit et au bon moment, tout en respectant les milieux traversés. Place à la rencontre avec la terre.
Où aller pour récolter l’argile sauvage ?

La France regorge de ressources argileuses insoupçonnées, qui se révèlent à qui sait quoi et où chercher. Pour preuve, les tuileries, briqueteries et autres lieux-dits portant des noms évocateurs sont disséminés partout dans nos régions. Avant l’époque des échanges commerciaux intenses et fluides que nous connaissons, chaque contrée avait une ou des sources d’approvisionnement en terre permettant a minima de fabriquer des matériaux de construction, c’est à dire de la terre à feu ou de la faïence, et au mieux de fabriquer des articles de poterie utilitaire ou décorative allant de la la faïence à la porcelaine en passant par le grès.
Étudier les noms de lieux
Pour trouver l’argile sauvage, une première piste peut être d’aller à la rencontre de l’histoire de sa région, pour découvrir où ces matériaux étaient fabriqués.
La majorité des unités de production étaient situées directement sur les gisements ou à proximité immédiate, pour simplifier l’extraction et minimiser le transport. Trouvez des lieux-dits, des noms de rue ou même des anciens noms de maisons qui évoquent l’argile. Se documenter sur les différents noms de l’argile dans la langue de votre région peut être une source d’information précieuse. Par exemple, en occitan, bolbena a donné boulbène en français. La présence de dérivés de ce mot dans un lieu indique très probablement la présence d’argile.
Les cartes géologiques
Une fois que vous avez identifié des lieux où aller rechercher des gisements, vous pouvez vous aider de cartes géologiques pour compléter vos recherches. Le site Infoterre est une mine d’informations et propose une application pour vos smartphones qui est très pratique, nommée i InfoTerre.
Priorisez les endroits accessibles à l’aide d’une carte IGN ou d’une application de plans sur votre smartphone. Y a-t-il une route, un chemin qui passe à proximité de l’endroit que je cible ? L’argile est un matériau qui est lourd à transporter, donc un lieu peu accessible rendra votre récolte beaucoup plus compliquée.
Focus : le pas à pas avec les cartes géologiques sur Infoterre

Sur https://infoterre.brgm.fr/ rendez vous sur le visualisateur standard.
- Décidez d’une zone à explorer, par exemple autour d’Agen, avec le bouton « localisation » dans le menu à gauche, entrez Agen dans le champ de recherche, puis cliquez sur « Aller à ».
- Sélectionnez ensuite le résultat de recherche qui vous intéresse, par exemple Agen (Nouvelle Aquitaine). Les autres résultats sont toutes les communes environnantes, ce qui peut aussi vous aider à vous approprier le lieu.
- Ensuite, il va falloir sélectionner la couche de carte géologique qui vous intéresse. Dans le menu à droite, il y a un bouton « choix des couches ». Sélectionnez les cartes géologiques, vous pouvez cocher les différentes échelles qui vous intéressent pour y accéder lorsque vous allez par la suite zoomer et dézoomer sur la carte. Vous voyez alors apparaitre les couleurs correspondant aux différentes zones géologiques sur la carte.
- Identifiez à quoi correspondent les couleurs que vous voyez, en cliquant en haut de votre écran sur le « i » avec une petite flèche, cela permet d’afficher la légende de la zone sur laquelle vous cliquez. Par exemple, « notation : g3b, description : Aquitanien. Marnes et argiles à Ostrea aginensis, marnes et molasses lacustres ».
N’hésitez pas à vous déplacer sur la carte en cliquant sur la main dans le menu du haut. Vous allez ainsi repérer les zones qui correspondent à de l’argile, des marnes, etc. N’hésitez pas à repasser à la carte IGN pour bien visualiser l’accessibilité du site comme expliqué un peu plus haut.
Astuces pour retrouver l’argile sauvage
Faites-vous des repères sur votre application mobile de plans :
notez les endroits que vous voulez visiter et créez des listes de repères. Par exemple avec Google maps, vous pouvez créer des listes privées ou partagées de lieux, et vous pouvez même annoter chaque repère avec des informations pour vous souvenir du lieu de récolte. Une fois sur place, la géolocalisation grâce à votre smartphone vous permettra de vous assurer que vous êtes un bon endroit. L’application i InfoTerre possède les mêmes fonctionnalités que le site Infoterre détaillées ci-dessus, accessibles depuis votre poche à condition que vous ayez du réseau. Sur votre repère placé sur votre application de plan, vous pouvez apporter des précisions dans le cas où vous avez trouvé de l’argile ; par exemple « à droite du chemin, dans le talus en descendant, argile jaune affleurante, peu d’impuretés, récoltée à l’état sec, pas de présence de calcaire + la date de la visite du site ».
Cela vous permettra de vous y retrouver si vous souhaitez revenir sur place, les saisons et le temps passant, les repères peuvent être plus difficiles à retrouver donc veillez à prendre en note les éléments les plus stables possibles : position par rapport au chemin, un gros arbre, un gros rocher.
Collecter l’argile sauvage
Vous ne voyez rien d’autre que de la végétation ? Pas de panique, sachez que l’argile est généralement sous la couche d’humus, produite par la décomposition des matières organiques de la surface terrestre. Comme vous ne serez pas équipés d’une excavatrice, soyez opportunistes : les bas-côtés des routes sont souvent des moyens simples d’accéder aux différentes strates géologiques de surface, sans avoir à creuser. Un chantier est en cours dans la zone ? N’hésitez pas à jeter un œil sur les tas de terre qui aura été retournée ou mise à nu et discutez avec les propriétaires de votre démarche pour demander l’autorisation de prélever un peu d’argile, si elle vous semble intéressante. Cette approche fonctionne même en zone urbaine, où la terre est souvent sous le bitume. Les chantiers sont alors une des seules occasions d’avoir accès à la terre.
Quand collecter l’argile sauvage ?

Nous pouvons maintenant aborder la meilleure période pour récolter son argile.
Comme évoqué précédemment, l’argile n’aura pas le même aspect en saison sèche qu’en période humide.
Privilégier les jours de pluie
Si vous vous rendez sur un site que vous ne connaissez pas encore, il est préférable d’aller faire des repérages après quelques jours de pluie. Reconnaitre et tester la terre sur place sera plus facile de cette façon. La réhydratation de l’argile de façon homogène prend un peu de temps, toute personne qui a déjà recyclé de l’argile conventionnelle le sait. Donc tester la plasticité d’une terre sèche, en la réhydratant sur le moment, peut offrir des résultats décevants, même si la terre pourrait avoir des caractéristiques intéressantes dans un contexte plus favorable. Par contre, l’argile humide est bien plus lourde que l’argile sèche. Il peut donc être intéressant de revenir dans un lieu que vous avez préalablement repéré à la saison sèche pour avoir moins de poids à transporter.
Éviter l’hiver
La saison très froide est évidemment à proscrire, surtout si la terre de surface gèle : vous n’arriverez à rien avec vos petits outils. Enfin, pensez à l’accessibilité du lieu en fonction de la saison : certains terrains très humides seront peut-être glissants, voire inondés selon la saison.
Comment collecter l’argile sauvage ?
Voyons à présent le comment de la récolte de l’argile sauvage.
Sans aborder tous les tests qui sont à réaliser avant de récolter de l’argile, qui pourrait faire l’objet d’un article à part entière, voyons d’un point de vue pratique comment récolter.
L’équipement nécessaire est assez simple :
- prévoyez des sacs, en nombre et en solidité suffisants pour la récolte que vous vous apprêtez à réaliser. Si l’argile risque d’être humide, prévoyez des sacs en plastique, par exemple des sacs poubelle.
- Un sac à dos vous permettra de transporter plus de matière, tout en gardant les mains libres.
- Ensuite, une petite pelle sera indispensable, éventuellement un deuxième de taille moyenne pour des plus grandes quantités. Personnellement, je ne retourne jamais une zone à la recherche d’argile sous la couche d’humus, afin de respecter le milieu au maximum, donc je n’utilise jamais de pioche.
- Une gourde remplie d’eau pourra servir à réhydrater l’argile afin de la tester entre ses doigts, et surtout à se rincer les mains.
- Selon le terrain où vous vous rendez, une paire de bonnes chaussures de marche pourra également être utile. Si la terre contient des grosses impuretés, comme des pierres, des racines ou des feuilles, essayez de trier un maximum sur place, afin de ne pas transporter de charge inutile et de vous simplifier la préparation de la terre à l’atelier.
Pour finir sur l’aspect pratique, assurez-vous toujours d’avoir l’autorisation de récolter la terre là où vous êtes, avant de commencer. Il n’existe pas de terrains qui n’appartiennent à personne donc une petite vérification préalable est toujours la bienvenue. Et pensez à la préservation du milieu : ne prélevez jamais plus que ce dont vous avez besoin et remettez la zone en état pour ne pas laisser des trous béants là où vous êtes passés !

Astuces pour collecter :
Quel que soit votre objectif de récolte, pensez toujours à écrire un nom sur le sac dans lequel vous stockez votre argile de récolte. N’hésitez pas à le faire directement au moment de la collecte, prévoyez pour cela des étiquettes ou un marqueur, car si vous multipliez les prélèvements, vous ne pourrez rapidement plus vous souvenir de lieu associé à tel ou tel sac et telle ou telle terre.
Une fois rentrés à l’atelier, stockez l’argile dans un contenant particulier pour chaque prélèvement, également annoté. Si vous souhaitez laisser sécher l’argile, laissez le contenant ouvert, si vous souhaitez le mettre en eau rapidement, vous pouvez le laisser fermé.
Il peut être intéressant de donner un chiffre ou autre type de code de votre choix à chaque prélèvement, afin d’enrichir un tableau de récolte. Ce code peut être repris sur votre repère sur votre carte, pour une meilleure cohérence.
Quelle quantité d’argile sauvage récolter ?
L’argile sauvage pour l’émail
Selon votre objectif de récolte, vous allez également prêter attention à différents aspects. Lorsque vous souhaitez récolter de l’argile pour préparer de l’émail sauvage vous n’avez pas besoin de grandes quantités, surtout dans la premières phase où vous allez simplement tester le potentiel de la terre récoltée en émail. Une petite centaine de grammes suffiront pour une phase d’exploration. Assurez-vous cependant au moment de la récolte que le site présente un stock suffisant si le potentiel de la terre était avéré, dans le cas contraire, vos efforts de recherche seraient inutiles car non reproductibles. Pour la production d’émail, je récolte généralement 1 ou 2 kg.
L’argile sauvage pour le façonnage
Si votre objectif est d’utiliser l’argile pour le façonnage de vos pièces, de plus grandes quantités seront nécessaires. De la même manière que pour l’émail sauvage, veillez toujours à ce que le stock présent sur place soit suffisant pour des visites futures. Dans le cas contraire, même si l’argile vous appelle, abstenez-vous de récolter, toujours pas souci de reproductibilité de votre travail. Afin d’évaluer le potentiel d’une terre, je récolte entre 300 et 800g environ : je peux alors tester différentes méthodes de façonnage ou éventuellement des mélanges, tout en ayant assez de matière pour faire des tests de cuisson. Une fois le potentiel avéré, je récolte rarement plus de 5kg à la fois, afin de préserver le site.
Et sinon
Enfin, pour rassurer les moins organisés, la démarche de récolte d’argile peut aussi être beaucoup moins ciblée. Au gré de vos balades, vous pouvez aussi garder l’œil ouvert : de l’eau qui reste stagnante en surface peut indiquer la présence d’argile en saison humide, alors que des fissures et crevasses à la surface de la terre seront indicatrices en saison sèche. Récolter son argile, c’est aussi un état d’esprit ouvert à la rencontre, en toutes circonstances.
Il est difficile de faire le tour de tous les aspects de la récolte de l’argile, tant les paysages sont différents et les possibilités nombreuses, mais vous avez maintenant un petit tour d’horizon des éléments de base pour aborder votre récolte. Bonne recherches, et n’hésitez pas à partager vos trouvailles ou vos questions.



